Date de publication
30 janvier 2025
modifié le

Femmes porteuses aux États-Unis : la question complexe de leur rémunération

De nombreuses idées reçues circulent sur les femmes chargées de mener une grossesse à terme et de donner naissance à un enfant pour le compte d’autrui, les fameuses « mères porteuses », notamment au sujet de leur rémunération. Aux États-Unis, cette activité ne permet pas aux femmes concernées d’en vivre exclusivement.

Photo d'une femme enceinte portant une fleur
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Image par Wendy Corniquet de Pixabay

À l’instar du travail du sexe ou encore du travail domestique dans des temps pas si lointains, le travail de gestation pour autrui est aujourd’hui encore largement méconnu par la société civile. En revanche, dans le milieu de la recherche, l’utilisation de ce concept semble désormais faire consensus, même si ses diverses réalités restent peu explorées, à commencer par sa rémunération.

Par ailleurs, la vision la plus répandue au sein du grand public est que les femmes porteuses se trouvent, le plus souvent, dans des pays pauvres ; or ce phénomène existe également aux États-Unis. Quelles en sont les modalités dans ce pays, notamment en ce qui concerne la rémunération de ces femmes porteuses ?

Sur les presque quatre millions de naissances annuelles recensées sur le territoire américain, un peu moins de 2 000 sont issues de GPA réalisées dans le cadre d’un contrat local conclu entre les « parents d’intention » et les femmes porteuses états-uniennes. Parmi ces 2 000 naissances par GPA, près de la moitié sont à destination de couples étrangers. Cette démarche est autorisée dans certains États seulement, car elle relève du droit de la famille, piloté au niveau étatique ; il n’existe donc pas de réglementation fédérale à ce sujet.

Reconnaissance dans le monde académique du travail des femmes porteuses

Si la GPA est une pratique encore peu répandue, elle existe aux États-Unis depuis que les biotechnologies le permettent, c’est-à-dire depuis les années 1980, quand sont réalisées les premières fécondations in vitro (FIV), c’est-à-dire la fécondation entre gamètes dans un laboratoire.

Les GPA contemporaines sont dites « gestationnelles » : les gamètes utilisés pour générer un embryon sont ceux du ou des « parents d’intention » (ou issues d’un don), jamais celles de la femme porteuse. La participation de ces dernières est donc limitée à la gestation proprement dite, soit le processus qui se déroule entre le moment où l’embryon est implanté et l’accouchement.

Alors que la gestation est généralement considérée comme un processus physiologique, la littérature scientifique a montré que la GPA pouvait être pensée comme un travail, dans la mesure où il s’agit d’une mise en mouvement délibérée de l’énergie humaine en vue d’agir sur la nature. Ce constat remonte aux recherches sociologiques et ethnologiques conduites en Inde à la fin des années 2000, qui ont permis de déplacer la focale au-delà des débats éthiques et moraux, pour étudier concrètement l’activité de ces femmes porteuses. Cette approche socio-économique de la GPA a depuis fait l’objet de nouvelles recherches, notamment aux États-Unis, qui montrent à nouveau que le travail de gestation est une activité supervisée et normée.

En effet, aux États-Unis, les femmes porteuses sont soumises à de nombreuses prescriptions (horaires, activités physiques interdites ou obligatoires, contraintes d’alimentation, fréquence des contacts avec les parents d’intention). La gestation est aussi un travail de care qui implique une certaine charge mentale de la part des femmes porteuses. Enfin, elles doivent se conformer à un processus de sélection pour exercer cette mission. Parmi les critères : avoir déjà eu au moins un enfant, un indice de masse corporel limité et, surtout, des revenus familiaux suffisamment élevés. Les femmes qui perçoivent des aides sociales sont exclues du recrutement ; de quoi garantir, d’après les agences qui recrutent les femmes porteuses, une motivation qui ne serait pas strictement pécuniaire.

Tout travail mérite salaire ?

Une fois qu’elles sont recrutées, les contrats de GPA des femmes porteuses prévoient généralement deux modalités d’exercice : la gestation est effectuée soit à titre gratuit, soit en échange d’une compensation.

GPA: combien touche une mère porteuse et quels sont les couples qui y ont recours aux États-Unis?

Dans le cas des gestations qui ne font pas l’objet d’une compensation pour les femmes porteuses, ces dernières perçoivent cependant certains dédommagements financiers destinés à couvrir les frais liés à la grossesse (vêtements, déplacements, perte de jours de travail salarié, recours aux services d’aide à la personne pour le travail domestique et parental qu’elles ne peuvent plus exercer durant la grossesse, etc.).

Dans le cas de gestations dites commerciales, ces versements sont accompagnés d’une somme qui n’est affectée à aucune dépense particulière. Peut-on pour autant parler d’une activité lucrative dans le cas des femmes états-uniennes ? Dans les faits, les « parents d’intention » doivent débourser des sommes importantes – plus de 100 000 dollars (environ 97 000 euros) – pour une gestation. Mais ces sommes servent aussi, et même surtout, à rémunérer les agences de mise en relation, les professionnels médicaux qui s’occupent des FIV et les nombreuses assurances obligatoires tout au long du processus.

In fine, le montant perçu par les femmes porteuses dans le cadre de GPA commerciales aux États-Unis s’élève en moyenne à 23 000 dollars (environ 22 000 euros), un chiffre qui peut varier en fonction du lieu de résidence, de l’expérience antérieure, ainsi que de l’activité professionnelle de la femme porteuse.

Cette somme, certes non négligeable, doit néanmoins être rapportée au salaire moyen aux États-Unis qui est estimé, en 2020, à 50 000 dollars par an (environ 48 400 euros). De plus, exercer de manière durable une carrière en tant que femme porteuse est impossible car l’activité de gestation est limitée dans le temps, ne serait-ce que par l’âge.

En outre, les contrats sont régis par le droit de la famille, et ces femmes ne bénéficient donc d’aucun des droits sociaux associés au travail, ni d’ailleurs du droit du travail lui-même. Les femmes porteuses n’ont donc pas de congé pendant la durée de la gestation. Enfin, le paiement est le plus souvent versé d’un bloc, à l’issue de la période de gestation, et non mensualisé comme un salaire.

Ces critères formels conditionnent les transferts monétaires vers des femmes qui doivent être déjà suffisamment riches pour ne pas percevoir d’aides sociales, et nous montrent que le marché étatsunien de la GPA est construit de telle sorte que les femmes porteuses, issues de la classe moyenne, ne peuvent espérer « gagner leur vie » via la GPA – ce que les montants réellement perçus ne permettraient de toute façon pas.

Trump muet – pour le moment – sur la GPA

Durant sa dernière campagne présidentielle, le nouveau président a peu parlé de la GPA en tant que telle. Il l’a seulement mentionnée, en décembre dernier, pour annoncer que les FIV seraient remboursées, bien qu’on ne sache pas si cela concerne également les FIV pratiquées dans le cadre de la GPA.

Trump says he wants to make IVF treatment free for families

Si l’on peut se réjouir pour les États-uniens que l’accès à la FIV pourrait ne plus seulement être une question de classe sociale, il ne faut pas s’y tromper. Cette initiative sert davantage à encourager la relance de la natalité nationale – comme le font de nombreux gouvernements conservateurs – plutôt qu’à reconnaître les droits reproductifs. Le président entend d’ailleurs continuer à torpiller ces droits durant son second mandat, à commencer par le droit et l’accès à l’avortement ainsi qu’à la contraception, des droits qu’il avait déjà fragilisés lors de sa première présidence.

L’application du « Projet 2025 » élaboré par la Heritage Foundation et présenté comme le programme officieux du second mandat Trump devrait conduire à la réduction des droits de l’ensemble des travailleurs et des travailleuses du pays : privatisation des programmes de chômage, non-obligation de paiement des heures supplémentaires, baisse globale des salaires, attaque sur les droits syndicaux… Dans ce contexte, pour les femmes porteuses, dont l’activité n’est que peu reconnue comme un travail méritant salaire, envisager une organisation collective pour défendre leurs droits apparaît semble un combat titanesque.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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